A la chasse au trésor de la mariée

A la chasse au trésor de la mariée

A Louxor, des Occidentales d'âge mûr trouvent leur bonheur avec de jeunes Egyptiens A la chasse au trésor de la mariée A Louxor, des Occidentales d'âge mûr trouvent leur bonheur avec de jeunes Egyptiens, et inversement. Ces unions atypiques, de plus en plus nombreuses, font aussi vivre des familles entières. Par Claude GUIBAL Libération lundi 14 juin 2004 Gourna, Jazira envoyée spéciale Le taxi bleu et blanc cahote sur les chemins poussiéreux de la campagne thébaine. A quelques pas de là, le Nil coule, énorme et tranquille. A l'est, sur l'autre rive, Louxor semble vibrer à travers les ondes de chaleur. Un canal court à travers les champs de gombos et de canne à sucre. Le long de la rive, s'égrènent des maisons en briques crues, humbles avec leurs auvents de palmes et leurs ânes faméliques. Coup de frein. Une grande bâtisse à colonnades colorées se dresse, incongrue, au milieu des masures. Devant, une voiture flambant neuve. «Celui qui vit là a 25 ans. Il y a deux ans encore, il courait derrière les touristes dans la vallée des Rois, pour leur proposer des tours à dos d'âne. Et maintenant, il a une Mercedes. Il s'est trouvé une vieille Européenne.» Le chauffeur secoue la tête. «On dirait une momie, sa femme. Elle a 70 ans. Mais elle a de l'argent. Alors il profite. Et il n'est pas le seul.» Et de tendre le doigt. Derrière les palmiers, là-bas. Au bord de la route ici. Encore des maisons neuves, de belles voitures. Sur la rive ouest, à Jazira tout au bord du fleuve, ou à Gourna, gros bourg niché au pied de la montagne près des nécropoles pharaoniques, des maisons, des hôtels, des petits commerces, des cafétérias. Souvent, derrière, une Anglaise, une Allemande, une Hollandaise, mariée à un Egyptien, vingt ou trente ans plus jeune qu'elle. En l'absence de statistiques, à en croire les habitants de la région, elles seraient ainsi près de 400. «Passé la cinquantaine, une femme n'est plus considérée comme désirable en Europe. Ici, elle arrive avec ses rides et ses kilos en trop et des jeunes types superbes lui sourient, la courtisent. Ce n'est pas désagréable ! Mais il ne faut pas se leurrer. Ce n'est pas la femme qui intéresse, c'est son portefeuille», déplore Bernadette. A bientôt 60 ans, cette Française au teint doré vit la moitié de l'année au soleil de Louxor. Elle ne les compte plus, ces étrangères d'âge mur qui, aveuglées par des déclarations d'amour, reversent leur pension et vendent leurs derniers biens pour un jeune Egyptien aux yeux doux. «On a beau les mettre en garde, rien à faire, regrette-t-elle. Elles sont persuadées de vivre quelque chose de différent, d'exceptionnel.» «Je suis heureuse, cela rend les gens jaloux. D'autres se font peut-être avoir, mais pas moi. Qu'on me fiche la paix», réplique une Britannique, agacée d'être interpellée sur la différence d'âge entre elle et son compagnon. Allongées au bord de la piscine d'un grand hôtel, Mary et Vicky n'en reviennent pas. En quittant Manchester la semaine précédente pour une croisière sur le Nil à prix bradé, elles n'auraient pas osé rêver un tel conte de fées : à peine débarquées à Louxor, elles ont rencontré, au hasard d'une promenade sur la corniche, cet athlétique jeune homme au sourire timide. «Ce soir, nous allons boire un verre avec un de ses amis. Et, c'est décidé, nous allons revenir dans trois mois, pour passer davantage de temps ici.» Emues par la gentillesse des Egyptiens, Mary et Vicky culpabilisent. «Les gens sont si pauvres ici, ça fait relativiser.» Dans leur ville de brume, si loin des palmiers et du soleil de Louxor, les deux divorcées, aux cheveux peroxydés et aux bras couverts de tatouages, vivent d'allocations sociales. Pas grand-chose, 700 euros mensuels. Une fortune, à Louxor, où un employé d'hôtel en gagne 30 par mois. «Il faut savoir saisir sa chance» C'est ce qu'Ayman (1) gagnait quand il a connu sa femme. Elle séjournait à l'hôtel où il travaillait. L'air dégagé, il lisse les pans de sa galabeya bleue. Il a moins de 30 ans, son épouse plus de 50. L'âge de sa propre mère. «Mon histoire, c'est celle de tous les types ici !» En Egypte, explique-t-il, un homme se marie rarement avant 35 ans, le temps de réunir suffisamment d'argent pour avoir une maison ou un appartement, acheter le mobilier et la chabka (dot en or) pour la future épouse. Sans cela, point de mariage. Et la crise économique a rendu l'épreuve difficile. «Il faut savoir saisir sa chance, c'est ce que j'ai fait.» Ayman réfute tout argument intéressé. «Ce n'est pas une relation à sens unique. Elle m'aime pour mon physique, ma jeunesse. Moi j'aime qu'elle m'ait appris une langue étrangère, qu'elle m'ouvre l'esprit, qu'elle m'éduque, qu'elle m'apprenne l'informatique, par exemple.» Accessoirement, le jeune homme, qui ne travaille plus, apprécie d'avoir une machine à laver toute neuve et un frigo antigivre qui font l'admiration des voisins. Le mariage, avant tout un pacte social «Cela crée des jalousies. Les jeunes veulent tous suivre cette voie. Ils ne connaissent plus la valeur du travail», s'inquiète un vieil homme, soucieux de l'ampleur prise par le phénomène. A en croire certains habitants de la rive ouest de Louxor, l'argent des «old ladies» représenterait la première source de revenus à Gourna et Jazira. L'évocation d'une analogie avec la prostitution indigne. «ça n'a rien à voir !», assène-t-on sèchement. En Egypte, le mariage, loin d'être un engagement amoureux, est avant tout un pacte social et économique, une vraie entreprise, dont la finalité est plus reproductive que sentimentale. Il s'établit sur des bases financières discutées entre le père de la fiancée et le promis avant d'envisager la rédaction du contrat de mariage. «Là, c'est pareil», affirme Mahmoud avec une fausse candeur. A 18 ans, le jeune homme, rencontré sur le bac qui relie les deux rives, rêve lui aussi de trouver son étrangère. Mais n'exclut surtout pas de prendre dans la foulée une deuxième épouse égyptienne, de son âge, «pour avoir des enfants». En attendant, il aborde la moindre touriste solitaire en vue. «C'est une vraie chasse au trésor», note, amusé, un Occidental résidant à Louxor. Serrés sur les bancs du bateau, les habitants de Jazira regardent sans les voir ces couples disparates. La plupart d'entre eux sont obligés de cumuler les emplois. La viande reste exceptionnelle dans leurs assiettes. Leurs maisons, sommaires, sont plantées au bord de la route sur laquelle défilent chaque jour des milliers de touristes en cars climatisés. «Quand un Egyptien épouse une étrangère, c'est toute la famille qui en bénéficie, reprend Mahmoud. Le niveau de vie s'élève pour tout le monde.» D'ordinaire si conservatrice et pieuse, la société ferme les yeux. Personne ne pose de questions. Chacun y trouve son compte, explique-t-on avec gêne, certains vont même jusqu'à affirmer qu'en cas de mariage entre deux jeunes de la rive ouest, les parents de la promise préfèrent souvent s'assurer de la présence d'une première épouse étrangère pour assurer le confort de toute la famille. A la sortie du bac, assis à la terrasse d'une buvette, une Européenne permanentée, aux épaules cramoisies, et un jeune en galabeya claire partagent amoureusement une table. Personne autour ne semble prêter attention. A deux pas de là, une pancarte en anglais indique la présence d'un cabinet d'avocats, spécialisé dans le «droit pour étrangers». Car pour pouvoir passer du temps ensemble, à l'hôtel, ou sous le même toit, les couples doivent produire un certificat de mariage. Nombreux sont les avocats qui acceptent alors de rédiger des contrats orfis. Sans valeur réelle, ces certificats de complaisance contresignés par l'avocat affirment que le couple est marié, aux yeux de Dieu. Cela suffit pour sauver la morale : les propriétaires ou les hôteliers se contentent de ce bout de papier. Les choses se compliquent en cas de litige : le orfi n'ayant aucune valeur légale, une femme ne peut pas, par exemple, réclamer son dû en cas de séparation. A Louxor, de nombreuses histoires circulent ainsi sur des étrangères trop crédules. «Une fois plumées, elles sont rejetées par tout le monde», raconte Bernadette, qui en voit repartir, désespérées, vers leur pays d'origine. Rares sont celles qui vivent ici à l'année. La plupart d'entre elles viennent plutôt passer l'hiver au soleil, après avoir épargné pour financer la construction d'une maison, ou l'achat d'un magasin. Ainsi, le jeune homme rencontré par Vicky et Mary, les Britanniques, n'a pas caché son rêve d'avoir un jour son propre hôtel. «J'aimerais pouvoir l'aider», ajoute Mary, alors qu'il téléphone avec son portable dernier cri, cadeau d'un «ami», touriste de passage. «Tout le monde va vers l'argent facile» Selon Hamada Khalifa, propriétaire d'un hôtel sur la rive ouest, c'est l'état catastrophique de l'économie locale qui est en cause. «Louxor fait vivre toute l'Egypte avec le tourisme. Mais, localement, les gens n'en retirent pas de bénéfices. Il n'y a pas d'investissement gouvernemental, pas d'usines. L'Etat agit comme si le tourisme était une ressource suffisante.» Et de rappeler qu'à six euros l'entrée sur les sites touristiques, et à raison de 5 à 10 000 visiteurs par jour, c'est une marée d'or qui passe tous les jours sous le nez des habitants de la région. La vogue des mariages avec les étrangères âgées, dit-il, a pris de l'ampleur depuis dix ans. «La guerre du Golfe a précipité le retour des travailleurs émigrés dans le Golfe. Beaucoup d'hommes sont rentrés, ce qui a tari une source de revenus.» Parallèlement, l'Egypte a changé de cible touristique. Aux touristes individuels, sac à dos et bohème, qui visitaient le pays ont succédé les «Novotel Ladies». Différence de statut, différence de budget. L'équation est simple, la réponse aussi : «Tout le monde va vers l'argent facile», explique un chauffeur de taxi, pestant contre ces jeunes «aux belles voitures, qui fument des cigarettes étrangères et dépensent des millions pour leur maison, alors que je trime comme un âne». La nuit tombe sur Louxor. Les flots du Nil s'épaississent, bleu pétrole. Les touristes finissent leurs promenades en felouque, promettent au capitaine de revenir le lendemain. Dans les pubs à l'anglaise, en ville, des jeunes s'assoient au bar, en attendant leurs proies. Certains hôtels leur interdisent l'accès, n'acceptant que les couples déjà formés. Sur la corniche ou dans le souk, le touriste se fait interpeller. A celui qui prête l'oreille, on propose tout. Drogues, hommes, femmes, et même jeunes adolescents. «Louxor est une zone de non-droit», reconnaît un étranger. «L'endroit où celui qui veut peut faire du fric», répond un Egyptien. L'Etat, lui, préfère fermer les yeux. A Louxor, terre des pharaons, l'argent est roi. (1) Le nom a été changé.

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